Fictions de famille (4) – Idfolles

Fictions de famille (4)

Je me demande donc toujours pourquoi je devrais m’investir et m’investir dans quoi. Je repense à cette photo que m’a envoyé ma mère. Cette photo et ce qu’elle évoque doit il rester de l’ordre du rêve et de l’imaginaire ou dois-je m’investir pour essayer de comprendre sa véritable signification ou non-signification.

Je crois que mon père a tout fait délibérément pour que je sois un homme sans pratique, sans action sur le réel. C’est drôle de se dire ça. Je sais. C’est une façon de se défausser, de dire je ne suis pas responsable de ce que je vis. Je me sens en suspens. Comme un arbre sur la croix. J’aime cette phrase ambigüe. Je sens comme un univers possible mais qui ne peut ou ne doit pas devenir réel.

Mon fils me tire du lit tous les jours à 6h30 en me disant : “Papa va chercher le pain !!” Quand ma femme ne travaille pas, nous prenons le petit déjeuner ensemble et nous buvons notre litre de café. Et je me plonge dans mon écriture journalière tandis qu’elle se repose un peu.

Depuis plus de deux ans je n’ai plus de folie des grandeurs. Je ne me lance plus dans des solutions illusoires aux grands problèmes mathématiques. Je collectionne les livres de math. Mais je ne me plonge dans aucun. Moi qui entre 10 et 23 ans lisait énormément de romans, je ne lit plus rien. Je me rappelle mon père qui me disait qu’il n’allait plus au cinéma depuis l’âge de 36 ans et que la chanson même celle de Brel ne l’intéressait plus. Quand je roule pour aller au boulot je me laisse bercer par des niaivreries…. Et si je lis quelques articles de sciences je les oublie aussitôt. L’effort placé si haut ne fait plus partie de ma vie.

Les pensées rocambolesques, les délires qu’on se tourne comme un film pour supporter sa maigre vie, tout celà ne fait plus partie de ma vie. Alors j’écris. J’écris les mêmes phrases remaniées mille et une fois.

C’est un drole d’état. Je ressens comme un calme. Celui d’un être qui ne souffre plus. Nous sommes des individus libres, mais nous sommes aussi les derniers individus libres. Il y a 10 000 ans les hommes et leurs familles étaient autonomes. Aujourd’hui plus personne ne peut se dire autonome. La terre dans sa croissance est en train d’atteindre l’état adulte où tous ses organes et ses cellules sont différenciés. L’individu s’efface dans l’organisme qu’est devenu la terre. J’en suis persuadé. Il n’y a plus de place pour l’individu libre et autonome. On peut encore en rêver. C’est tout. Celà reste un rêve comme une image, une persitence rétinienne d’une image passée qui n’est plus…. On a beau faire, on a beau continuer à gesticuler, il y a un être au delà de nous qui lui nous dicte nos faits et gestes. C’est comme les poupées russes. Un ensemble de poupées gigognes chacune englobant une autre. Il y avait le protozoaire, il y a eu le métazoaire et maintenant il y a la société, cet être obscure que l’on découvre et qui nous dicte tous nos gestes.

Je ressens comme un calme. Je regarde le passé et je n’en souffre plus, je regarde l’avenir et je le laisse surgir.