Le café (écrit en 1996) – Idfolles

Le café (écrit en 1996)

L’adulte boit du café et souffre des responsabilités qui lui incombent. Le café est le symbole de l’adulte. Il est d’un goût mi-amer… Il a une bonne odeur aléchante… Et on le boit en pensant à l’instant qu’on enterre et à l’instant qui va surgir pour mette fin à son immobilisme. Le café c’est l’instant qu’on savoure tout en sachant sa fin, qui nous taraude… L’adulte est là, je suis là, sur une planche en équilibre qui à chaque instant peut basculer. On ne sait pas pourquoi on a la chance d’être là en équilibre et de n’être pas tombé… On ne sait pas pourquoi et la question nous taraude comme le goût du café qu’on avale par gorgées.

Je suis devant un mur que le temps n’efface pas, qui ressurgit toujours malgré l’oubli. Je suis devant un mur, celui du désespoir, du désespoir qui n’engendre rien. Je suis devant un mur que j’essaie de creuser avec une petite cuillère à café, quand l’âme et le corps doué de fainéantise je rêve encore de remédier au désespoir par un infime élan d’efforts.

Mais le temps me manque et le coeur à l’ouvrage. Parfois je m’abrutis devant un écran cathodique quelconque et je regrette après… Puis j’écris quelques lignes, je pense aux années à venir dans l’effort continu et tout ce manque de savoir et de maîtrise qui me laisse empêtré dans le néant. Et je ris des certitudes d’autrui et je pleure des réunions sans fin et des discours auxquels personne ni même ceux qui les profèrent, auxquels personne ne croit et qui tombent comme lettres mortes dans l’escarcelle du temps qui les compte et les mache, qui les réduit à leur simple expression dans l’attente de l’acte… comme une benne à ordures qui compriment les déchets… Les déchets qui forment un tas grandissant… de papiers, de rapports et la misère du monde qui ne bouge pas d’un iota ou dans le mauvais sens !

Boire un café, c’est croire qu’on a le temps d’accomplir l’innaccompli et que rien ne presse et que rien ne sera jamais trop tard. Et pourtant. Je baigne dans l’atmosphère du café. J’attends le couperet de la fin.