A mon père mort – Idfolles

A mon père mort

Cher Papa

Nous n’avons pas eu le temps de nous dire adieu. Maman me dit que tu regrettais mon état mais je ne saurais jamais si tu regrettais aussi ton comportement et ses conséquences dans notre famille et pour moi. Tu ne voulais plus me parler depuis un an déjà quand tu nous as quitté ce jour de fin juillet 1998 et 11 ans plus tard tu hantes encore mes pensées.

Oui je ne sais si dans ta volonté (perverse je ne sais) tu existais sans tenir compte d’autrui alors que dans toute relation il faut aussi tenir compte de l’autre. J’étais enfant quand tu nous a abreuvé d’Anarchisme, de Krishnamurti, et d’autres idées communes à ton époque. Mais dans le conditionnement que tu nous a donné en héritage tu n’as pas pensé que nous serions donc inadaptés à la société et sa majorité autrement conditionnée.

Car non je le sais bien, je ne suis pas libre, je suis seulement conditionné à un mode de pensée.

J’en arrive à me dire qu’il n’y a pas de liberté mais juste un conditionnement accepté et adéquat. Freud ne l’avait-il pas déjà découvert et décrit dans son livre “la psychologie des masses” que je n’ai pas lu, où tu m’as dit qu’il disait que les masses ne trouvait le bonheur que si elles étaient conditionnées et même droguées…

Donc par la pensée peut-être déformée par moi que tu m’as transmise, je reste et resterai un inadapté au monde social.

C’est sans doute le seul, le grand, l’unique reproche que je peux te faire.

Mais être adulte n’est-ce pas me dis je à moi même, n’est ce pas justement reconnaître le conditionnement que l’on a reçu… Mais je ne sais pas encore comment ne plus en souffrir.

Krishnamurti disait que la dualité cessait avec le processus de la pensée. Que la pensée n’allait que par définition, par exclusion et inclusion, et donc entrainait automatiquement une dualité entre ce que je suis et ce que je ne suis pas.

Il a sans aucun doute raison.

Voilà pour te dire, papa, en ce jour de la Toussaint, tu as transmis en moi ta complexité. A moi de me libérer si cela est possible de ce joug que j’ai accepté, non pas comme me le disait maman ce matin, en faisant un virage à cent quatre vingt degré….

Non à ce jour je ne sais pas comment m’en libérer. Onze ans ont passé pour que je puisse écrire cette lettre… Onze ans pendant lesquels j’ai pleuré d’être seul maintenant sans pouvoir discuter avec toi à jamais… Sinon imaginer cette lettre que je t’écris pour moi.

Ton fils