Je me suis levé matin, sans attendre dans mes mains, facilement le bon grain. Oui, j’ai pris par les cornes mon destin. Je lui ai tordu le cou une bonne fois pour toute. Non, je ne fuirais plus dans des actes faciles, irréfléchis, dont la fragilité demeure le seul charme. Non je ne veux plus oublier le taureau par les cornes qui m’attend dans la ville où je passe mes journées devant l’ordinateur. Je veux créer le rêve qui chagrine mon esprit, je veux poétiser sans rimes une fleur qui ne soit pas létale, je veux donner au jour ce consistant réel que depuis des années je lache à tout vas sous moi comme un dévergondé dont le sérieux fait rire. Je le sais. Je me lève au matin. J’ai changé par la force des choses. Je n’ai qu’une chose à faire : me coltiner la peau, me coltiner le réel. Plus de chagrin. Plus d’acte de fuite. J’ai décidé matin de faire ce long chemin, faire une oeuvre de mes mains qui ne soit pas absconse. Mais cette oeuvre c’est ma vie. Depuis quinze ans déjà je l’enlise dans mes textes. J’ai compris ce matin qu’elle ne pouvait être lue sous une plume rapide, même trente pages plus loin, même cent pages plus loin, le dessin n’est pas là, le tableau reste flou. J’ai donc mis un coup de pied dans ma propre fourmillière, un coup d’arrêt fatal aux poésies chagrines, aux premiers jets qui viennent et qui ne donnent rien. Ceci en est bien un.
J’ai donné au hasard des mots leur lettre de noblesse, je refuse aujourd’hui d’écrire au hasard des mots ma lettre de paresse.
La beauté de toute chose réside-t-elle donc dans l’idée et les mots qui s’allument et pétillent dans nos yeux ou bien réside-t-elle dans la vie uniquement ? Je pose cette question. L’idée est bien là, elle nous attire mais l’acte lui est souverain. Il y a bien le programme, ce qu’on avait prévu, ce qu’on avait rêvé, mais le faire est une souffrance, une abnégation, une tragédie grecque.
Vous êtes face à votre destin. Vous êtes seul responsable. En homme nitschéien vous faîtes face et vous agissez selon votre mesure, à votre place. C’est celà la tragédie grecque de tout humain.
Elle n’a pas de fin.
Aller au delà des idées, voilà ce que je veux faire. Dépasser les mots qui tournent et volent. Construire cet au delà. Laisser un tableau dont la beauté dépasse les mots comme la vie dépasse toutes choses créées paar l’homme