La mer pendant la nuit s’était loin en allée. La mer au matin n’était pas revenue. Les mots pourtant répercutés, la mer, la mer, l’on ne pouvait qu’imaginer qu’à l’horizon lointain la mer continuait son petit va et vient, douce usure du temps, sablier éternel, mesures astronomiques, loi gravitationnelles, ô ma lune adorée, têtue, t’es tu enfuiee dans le ciel étoilée ? Côte ouest, vent du large assoiffé, un homme marchait sur la plage esseulée. Il manquait un détail à ce petit matin, à ce sable foulé, si fin , si doux, la mer roulant plus bas, plus loin. Ses pieds ne sentaient plus ce ruisselet fugace entre ses doigts de pied, de sel et de sable encollés. Ne subsiste qu’un peu d’humidité, un peu de vent mouillé, iodé, sur la plage déserte, où s’achève un voyage inconnu, celui des coquillages confus, dont les noms mélodieux sont restés non appris dans des cahiers enfouis.
Oui la mer est partie. Rien ne la retenue. Ne demeure que la roche érodée, les dunes sans yeux, sans bouches, égarées, des touffes jaunies de verdure fragilisée, que ce campeur agenouillé, levé trop tôt, le ciel à pein éclairci à l’horizon brumeux, l’atmosphère rafraichie, privée de couverture en nébulosité, déperdissant le jour précédent. Le voyageur sur l’étendue dorée, grise et mouillée, se prend la tête entre les mains. L’épreuve en lui fait son chemin, il a perdu son besoin de normalité. Mais il n’ose encore bouger. Cet espace est à lui, ce gigantesque oubli accablé, juste un peu hésitant devant l’entrée d’un univers recommencé.
Son corps s’est remis à marché quand il entend soudain la mer qui revient : sa main se tient en cornet sur le doux duvet d’une feuille auditive et parcheminée. Un peu de joie se fond en lui comme un soleil rosé détachant les amarres de l’aube-montgolfière.: l’enchanté jeune homme a découvert le pouvoir d’imaginer ce qui déjà existait, le pouvoir de falsifier. Ces mots sont des dérivatifs, il ne veut qu’oublier que la vie le traverse et le poursuit : la vie, la mer ici ne faisait qu’un, se murmure le rêveur éveillé.
Peu importe cet éclat qui se veut vérité, le dormeur surveillé par un esprit auto dépravé ne songe qu’à vagabonder. Plus lourd est l’air l’environnant tout en étant toujours peu confiné ; c’est un décor nouveau que va découvrir l’arpenteur. Un vol d’oiseaux, c’est donc qu’il y a toujours un horizon, marbre le ciel le ciel de leurs battements religieux, réguliers. Absence de désir d’explication, on poursuit son chemin sur un terrain labouré, noir limoneux d’aspect huileux, gras prometteur. Une allée bordée d’arbres centenaires, l’on sent la vie ici, ce non objet de soucis, le vagabond ressent son amour immature et les besoins déviés qu’il a laissé en ville et la voiture… Ici verdure, blé mordoré, paisible douleur… du renoncement ? de l’immobilisme ? On essaie en vain de chasser l’esprit.
L’on ne devait pas courir aujourd’hui. Pourtant l’allée est là comme auparavant la mer absente, que ne suffit-il pas… Sa voix entrave ses pas. Son intuition à chaque instant détournée de l’objet premier… Allée revêtue de graviers, courbe nonchalente et essentielle aux abords du champ, tu mènes à la maison que cachait un intrus que l’on vient d’affoler, comme l’eau, cette calme surface, que l’on vient froisser d’une pierre jetée. L’image devient nette et le bâtiment, quatre murs ,un toit de tuiles écorchées, des fenêtres vitrées, petits carreaux, un tout petit bâtiment qui respire de simplicité.
Attirer l’attention sur ce qui suit , d’un indigne intérêt.
Il entre en courbant le dos, devant lui se propage un antique tableau qui dérange en tout l’habitude établie qu’il faut aller de l’avant, vers la mort appétissante et sucrée comme un gâteau anglais. Il s’assoit dans un coin reculé de la pièce large et mal éclairée. Il sent là un foyer.
Mais voilà que se fissure entre ses doigts le bonheur arraché par je ne sais quoi : c’est une avidité qui grossit, qui emplit, qui détruit l’espace réduit de cette rêverie. Le foyer est en lui même une poudrière. C’est un feu dévastateur mugissant et dunèbre, entendez vous craquer les vertèbres d’acier, les boiseries cirées, cet univers dépendant d’un monde envahissant. Ainsi se reproduit strictement l’histoire précédente ; il n’en sort jamais asphyxié et s’élève à nouveau même au sein du brasier qui ne tarde jamais de s’estomper. C’est un perfide animal écrasant la montagne ; virgule épatente, majuscule éprouvée, venez m’aider, je veux recommencer !
23-02-89