Je remis ma chaussette en mon âme et conscience sur mon pied refroidi d’une atmosphère d’outrances. Que ce visage est pâle et ses yeux refroidis ! Son ardeur est tarie et laisse à volonté couler dégoulinant un masque de laideur n’exprimant qu’un seul mot, envoutant, soit disant, repoussant , plaisir de l’exagération : la bouderie. Ne le regardez pas car il n’attend que ça. Qui ? Ce visage alarmant devant lequel on n’ose pas se prosterner, le coeur haut, la vue basse. Si l’on n’a jamais ressenti pauvre paillasson aigri, d’être un hérisson, pauvre animal non caressé, ne sachant pas pourquoi, ne laissez plus vos yeux errer sur ce papier : ce soir je suis la dérision, je suis la mauvaise foi, de bon coeur, les mains pleines de rien cachées au fond de poches non trouées. Ces traits défaits, ces cheveux enlacés qui autrefois avait un romantique attrait, pleurons à chaude larmes… dessus. Pourquoi ? Les larmes sont salées, si la blessure est ouverte et perdure alors vous verrez votre mal empirer : loin de cette eau tout désinfectant.
Vous ne serez pas soulagé. Dirigez vous de mal en pis, vers le réduit propret, allez creuver votre vessie. Relevez le défi. Oubliez tout c’est fini. Reboutonnez vous, écoutez le son de l’eau se ruant dans les tuyaux, le bruit du coffret se remplissant, et vos mains se lavant, sachez qu’il ne s’est rien passé. Votre esprit, ce soir, est bien trop imaginatif. Aucun mal n’a jamais existé. La victime est enfouie sous vos pieds, vous l’avez terrassé. Criez, trépignez, vos malheurs sont partis, autrui n’y est pour rien. Fuyez donc ce lit mouillé où la rancoeur a trépassé, glissez vous vers minuit, dans la chambre voisine aux volets non fermés.
En l’heure innatendue éclôt soudain le rêve oublié qui jusqu’ici n’avait pu percer le dur muret de l’habitude enfouie dans l’atavique esprit.
Il ne sait qu’il fait nuit puisque le ciel reluit, il ne sent qu’il est seul, entier mais morcelé face à l’immensité, il ne sait rien et s’adressant sans grâce et sans foi aux lueurs clignotantes, une fine poussière ayant creusé son nid dans un coin rougeoyant de sa paupière fripée, il dit :”partons ma chère amie, le monde est grand et mon amour aussi, les maux n’existent pas”. Lui ne tient compte de rien. Il ne connait ni chagrin, nin regret puisque tout glisse en lui sans qu’il s’en aperçoive, usant à peine une gouttière, peu à peu polie dans la pierre de son coeur.
Il enjambe le rebord de la fenêtre, se retrouve dans la rue où le vent joue un concert pour un desert auditoire entre poubelles renversées et lampadaires allumés d’artificielle électricité. Puis il fait son propre rejet, un filet blanc inquiétant sur ses lèvres surgissant.
Il est vide en dedans. Vide étrangement. De ce vide impalpable et pourtant obsédant, blanc laiteux visqueux, échappant à l’étreinte essayée. Mon Dieu, c’est le boudeur d’antan ! Sa ruse est infinie, avec lui je finis. Mon personnage est mort. A ce sentiment là rien ne survit. Frissonnez dans votre chemise de nuit, ce mauvais corps ne fera pas un pas. Ne sachant plus d’où vient la bouderie, la scène inachevée s’évapore dans l’instant. Ne demeure qu’un goût déplaisant : le goût d’un fruit qui n’a pas vu poindre le jour, qui a péri en début de chemin.
De l’autre rive arrive un vagabond qui marche par bond, sauts et rebonds et sa poitrine s’enfle d’un juron : funérailles ! Veux-tu chercher ce qui convient en ce moment ! me crie-t-il dans un regard chargé de son ressentiment. Non, je ne sais pas. Et je lui cède la place et le voilà qui s’avance à grand pas. J’ai soudain peur de lui. Que va-t-il improviser ?
Rien. Sur le pied d’un marchepied ou l’inverse faisant, sa main se tend, perche accessible que j’étreins, il m’enlève à mon cycle infernal. Le convoi s’en va. Je laisse derrière moi un regard désolé, des larmes mal sêchées ou une peau sillonnée de ruisseaux assêchés, bordés de croûtes salées. Va me dit-il tout bas, ne te retourne pas. Et je m’endors bercé, la vie m’enlève à moi, je vieillis et détruis sans merci mes nombreuses déplaisantes résurgences.
22-02-1989